Le divorce sans juge, un progrès ?

L’Assemblée Nationale a adopté le 19 mai dernier, dans le cadre du projet de loi sur la modernisation de la justice, le divorce par consentement mutuel sans passage devant le Juge Aux Affaires Familiales.

Aujourd’hui tout divorce « à l’amiable » est homologué par un juge chargé de vérifier que l’équilibre procédural et judiciaire est préservé.

Demain, si cet amendement est définitivement adopté, les époux, accompagnés chacun de leurs avocats (aujourd’hui un seul suffit), pourront signer leur convention qui sera ensuite enregistrée chez un notaire moyennant 50 €.

Selon cet amendement « cette nouvelle catégorie de divorce a vocation à s’ajouter aux cas actuels de divorce, et à se substituer à la majorité des cas de divorce par consentement mutuel ».

Cette disposition a pour but de désengorger les tribunaux.

En effet, plusieurs mois sont souvent nécessaires pour obtenir une date d’audience qui permettra d’entériner officiellement l’accord des époux par le juge.

Attendre parfois plus de dix mois avant qu’un juge, en quelques minutes, valide un accord souvent déjà mis en place depuis longtemps par les époux est un délai difficile à supporter pour ces derniers qui souhaitent l’application immédiate claire, nette et non équivoque des modalités de leur séparation.

Reste que l’on peut, et même que l’on doit émettre des réserves sur la validité de ces motifs.

Le souci de désengorger la justice ne justifie pas n’importe quelle réforme.

La solution face aux difficultés de fonctionnement de la justice ne doit pas nécessairement être sa suppression.

Si le divorce contractuel doit être adopté, ce ne peut pas être parce que les juges sont lassés des divorces ou ne parviennent pas à faire face au nombre de dossiers, mais parce qu’il serait possible d’organiser une séparation consensuelle présentant les mêmes garanties que l’actuel divorce par consentement mutuel judiciaire.

Tel ne semble pas être le cas pourtant.

En effet, ce projet de réforme a des inconvénients majeurs :

1) Elle fait disparaitre le tiers neutre (le juge) chargé de veiller :  

  • à l’équilibre de l’accord des époux et à la protection judiciaire des plus faibles : Tout contrat peut être un instrument d’oppression des faibles par les forts. La rupture d’une union matrimoniale est un moment de particulière fragilité pour certains conjoints, notamment les épouses. Le contrôle actuel sur les conventions de divorce par le juge sert de garde-fou. Il ne fait pas de doute que certains arrangements actuellement rejetés par les juges pourraient voir le jour, au plus grand préjudice de certains conjoints terrorisés ou simplement moins avertis. L’avocat, lui, reste avant tout le défenseur de son client et n’a pas pour mission de rechercher un équilibre entre les époux.
  •  à la préservation des intérêts des enfants.  Le juge aux affaires familiales contrôle notamment l’adéquation des mesures prises par les parents à l’intérêt de l’enfant. Si telle organisation relative, par exemple, à l’exercice du droit de visite, semble contraire à l’intérêt de l’enfant (résidence alternée non adaptée par exemple), le juge peut inviter les parents à revoir leur convention.

Un tel contrôle ne sera plus d’actualité, sauf si l’enfant demande à être auditionné par un juge. Or, une telle disposition n’est absolument pas adaptée à la réalité pratique.

En effet, et concrètement, il est évident que les parents décidés à divorcer contractuellement ne verront pas la nécessité d’avertir leur enfant de la faculté qu’il a de saisir le juge afin qu’il les oblige à une procédure judiciaire !

Le contrôle judiciaire est censé prévenir la tentation pour certains parents de monnayer des concessions relatives à l’autorité parentale : en clair, renoncer à une pension alimentaire en contrepartie d’un exercice exclusif de l’autorité parentale. Ce genre d’arrangement pourra donc s’avérer possible.

2) Ce divorce entrainera un coût supplémentaire pour le contribuable, car les époux devront obligatoirement avoir chacun leur avocat : actuellement, il est possible de divorcer avec un seul avocat, ce qui permet de partager les frais.

3) Ce divorce entraînera la disparition de la sécurité juridique qui est attachée à l’homologation : la convention de divorce, qui dépendra du régime des contrats, pourra à tout moment être remise en cause, pour quelque motif que ce soit, par les époux.

Par voie de conséquence, le seul avantage de ce divorce serait la rapidité de sa conclusion, mais au prix d’une insécurité juridique réelle et d’un surcoût notable.

Il reste la question de fond soulevée par cette volonté politique acharnée à la déjudiciarisation : renvoyer les individus à trouver eux-mêmes les voies et moyens de résoudre leurs litiges, est-ce vraiment un progrès de la société de droit ?

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