La nature de la prestation compensatoire

Ce qui doit être compensé par le jeu de la prestation compensatoire, ce n’est pas l’absence de parité en tant que telle, mais une véritable dysharmonie dans les conditions de vie de chacun des époux.

Cet article a été initialement publié sur le blog Legavox de Caroline Yadan Pesah, où il a généré depuis sa publication plus de 3800 vues.

A l’occasion des nombreux commentaires suscités par mon article « Calcul de la prestation compensatoire-Méthodes d’évaluation » publié initialement sur mon blog Legavox, un lecteur m’a fait part de la remarque suivante :


Sommaire

Question sur la nature de la prestation compensatoire

« On lit partout que le but de la prestation compensatoire est de compenser les sacrifices de carrière fait par l’un des conjoints (en général l’épouse).
Or lorsqu’on regarde les méthodes employées, on constate que ces méthodes se basent essentiellement sur les différences de salaires observées.
Ceci m’interpelle car il peut y avoir des différences de salaires sans pour autant qu’il y ait eu de sacrifice de carrière ni de l’un ni de l’autre. C’est même aujourd’hui la grande majorité des cas. Il y a donc un véritable décalage entre le discours  » compenser un sacrifice  » et la réalité du calcul. Résultat: on s’y perd et on ne comprend pas. 

Quelle est véritablement la vraie nature de la prestation compensatoire ?
S’agit-il d’indemniser/compenser une perte d’opportunité de carrière ?
Et alors s’il n’y a pas eu de perte de carrière, il ne devrait pas y avoir quoi que ce soit à compenser, quand bien-même les différences de salaires seraient grandes mais uniquement dues à des différences de qualifications professionnelles qui trouvent leur origine AVANT le mariage.
Ou s’agit-il d’autre chose ?
Une clarification serait vraiment la bienvenue afin que le justiciable puisse comprendre la loi. »


C’est cette clarification que je vais tenter d’apporter ici.

La prestation compensatoire n’a pas pour objet de niveler les moyens financiers des ex-époux.

Comme on le sait, l’article 270 du Code Civil prévoit qu’au moment du divorce« l’un des époux peut être tenu de verser à l’autre une prestation destinée à compenser, autant qu’il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions respectives des époux. »

A cet effet, et conformément à l’article 271 du même Code, le juge prend notamment en considération :

  • la durée du mariage,
  • l’état de santé des époux,
  • leur qualification et leur situation professionnelle,
  • les conséquences du choix professionnel fait par l’un des époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne,
  • le patrimoine estimé ou prévisible des époux tant en capital qu’en revenus après la liquidation du régime matrimonial,
  • leurs droits existants et prévisibles,
  • leur situation respective en matière de pension de retraite.

Cette liste n’est pas exhaustive, et l’évaluation de la prestation compensatoire reste source de conflit entre les époux qui souhaitent divorcer.

Il n’existe pas de « barème » permettant de fixer, une fois pour toutes, un montant qui ne serait susceptible d’aucune discussion.

Si la disparité entre les revenus de chacun des époux suffit, en tant que telle, à justifier l’attribution dans son principe d’une compensation, la prestation n’a pas pour objet de niveler les fortunes ou de constituer une rente de situation.

De plus, la Cour de Cassation a rappelé récemment que la prestation compensatoire n’avait pas non plus pour vocation de corriger les effets de l’adoption par les époux du régime de séparation de biens.

La prestation compensatoire vient compenser un sacrifice professionnel

Ce qui doit être compensé par le jeu de la prestation compensatoire, c’est le fait pour un époux d’avoir sacrifié ou, à tout le moins, ralenti sa carrière, d’avoir renoncé à ses propres ambitions professionnelles pour rester au foyer auprès de ses enfants, alors que son conjoint se consacrait à son travail et continuait à évoluer sur le plan social.

Ce qui doit être compensé, ce n’est pas l’absence de parité en tant que telle, mais une véritable dysharmonie dans les conditions de vie de chacun des époux.

En d’autres termes, la disparité entre les revenus des époux se révèle être injuste et anormale, en ce qu’elle révèle d’un investissement à sens unique, donc en « pure perte » en raison du divorce.

Les juges considèrent que la prestation compensatoire doit permettre au créancier de bénéficier d’un cadre de vie convenable, se rapprochant dans la mesure du possible, si ce n’est celui dont bénéficie le couple durant le mariage, tout au moins, celui que l’époux (ou l’épouse) serait en mesure d’offrir après le divorce aux enfants.

La loi et la jurisprudence prennent donc en compte à la fois la disparité des revenus (même sans sacrifice de carrière) ET la situation personnelle et professionnelle des époux.

C’est notamment le sacrifice consenti qui permettra d’évaluer à la hausse le quantum (niveau) de la prestation compensatoire.

En outre, les mêmes juges cherchent, par le biais de la prestation, à permettre de faire face aux charges mensuelles incompressibles qui pèseront sur le créancier en cas de divorce.

En quelque sorte, il s’agit « a minima » de d’assurer à ce dernier le « gîte et le couvert » après le divorce, eu égard au train de vie du ménage.

S’agissant des ressources du débiteur, il doit, bien sûr, être tenu compte de la consistance de son patrimoine, notamment, pour apprécier sa faculté à faire face à sa dette.

Si la nature de la prestation compensatoire reste assez claire pour les tribunaux, son calcul en revanche continue à faire couler beaucoup d’encre, même si les méthodes pour en apprécier le montant sont plus nombreuses et plus précises aujourd’hui qu’hier …

Vous êtes concerné(e) ?

Contactez-moi pour examiner votre situation personnelle

Maître Caroline Yadan Pesah,
Avocate en Droit de la Famille et Affaires familiales à Paris 18e

2 réponses
  1. Robert G
    Robert G dit :

    Votre explication ressemble quand-même une réponse de Normand.
    Si l’on peut admettre que la prestation compensatoire ait pour objectif de compenser les sacrifices et les renoncements consentis pendant le mariage et qui se révèleraient pénalisants pour l’un après le divorce, votre comparaison avec le devoir de secours envers les enfants me semble inappropriée car le divorce met fin au devoir de secours. Offrir à son ex épouse le même niveau de vie qu’à ses propres enfants supposerait que le lien matrimonial ne soit jamais rompu, c’est en totale contradiction avec le concept de divorce.

    De plus la prise en compte des capitaux propres de chacun après le divorce m’interroge.
    Je prends le cas d’école d’un riche ménage où chaque ex époux récupère la moitié du patrimoine commun disons 1 million d’Euros chacun.
    Supposons qu’il y ait une disparité des salaires disons 5000 Euros vs 2000 Euros. Je pense qu’avec 1 million d’euros chacun, le niveau de vie de celui qui perçoit 2000 Euros/mois ne sera pas fondamentalement différent du niveau de vie de celui qui perçoit 5000 Euros/mois. En effet, celui qui gagne 2000 Euros/mois peut fort bien piocher dans le million d’Euros qu’il détient pour s’offrir le train de vie qu’il souhaite: il est très loin d’être dans le besoin et ceci jusqu’à la fin de ses jours.
    Si c’est pour lui donner une prestation compensatoire de 50 000 Euros par rapport au million d’Euros qu’il détient, j’y vois plutôt une mesure punitive de l’autre.
    Si c’est pour piquer 500 000 Euros à l’un pour les donner à l’autre qui se retrouverait alors avec 1,5 millions d’Euros en poche, j’y vois aussi essentiellement une mesure punitive.
    Dans ces conditions je ne vois pas bien en quoi il serait nécessaire pour l’un de payer une prestation compensatoire à l’autre.
    Quelle est votre opinion ?

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  1. […] la totalité de la soulte due sera payable comptant ou par un paiement échelonné. Dans ce cas, la prestation compensatoire attribuée à l’un des époux par l’autre peut être déduite de la soulte si le bien est […]

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