CA Chambéry 22 octobre 2013 n° 13-02258, 3e ch.

(…)

Attendu qu’il est indiqué dans la décision d’opposition à célébration de mariage en date du 12 septembre 2013, délivrée par le parquet de Chambéry, que le mariage entre personnes de même sexe est interdit au Maroc et que l’homosexualité y est réprimée pénalement ;

Attendu qu’il est produit un certificat de coutume faisant apparaître que dans la législation marocaine le mariage est un contrat légal par lequel un homme et une femme consentent à s’unir en vue d’une vie conjugale commune et durable ;

Attendu par ailleurs que l’article 489 du code pénal marocain réprime les relations homosexuelles :

Attendu qu’il apparaît à l’examen de ces éléments que l’acte d’opposition, en faisant mention de ces conditions légales objectives appliquées au Maroc, a respecté les mentions prévues par l’article 176 du code civil et a fait valoir que cette réalité impliquait une impossibilité juridique pour M. O., ressortissant marocain, de conclure un mariage avec une personne du même sexe en faisant application du droit marocain ; que l’exception soulevée concernant la nullité de l’acte d’opposition sera ainsi écartée ;

Attendu qu’il est constant que la convention franco-marocaine du 10 août 1981 est appliquée en droit interne concernant l’état des personnes ; qu’il n’est aucunement établi que ces dispositions ne sont pas mises en oeuvre avec réciprocité alors qu’elles sont ratifiées et publiées depuis trente années ; que la non applicabilité de la convention franco-marocaine sur la base du motif de la non réciprocité sera rejetée ;

Attendu que ladite convention prévoit en son article 4 que la loi de l’un des deux états désignés ne peut être écartée par les juridictions de l’autre état que si elle est manifestement incompatible avec l’ordre public ;

Attendu que l’article 143 du code civil dispose désormais que le mariage est contracté par deux personnes de sexe différent ou de même sexe ;

Attendu que la liberté de se marier est un droit fondamental protégé faisant partie du bloc des libertés personnelles suivant la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ; qu’il ne peut pas être contesté que cette nouvelle disposition du code civil, concernant les qualités et conditions du mariage, a modifié la substance même des droits de la personne au regard de l’institution du mariage et permis un accès à des droits qui n’existaient pas avant l’entrée en vigueur de la loi du 17 mai 2013 ;

Attendu que l’article 202-1 du code civil précise que les qualités et conditions requises pour pouvoir contracter mariage sont régies, pour chacun des époux, par sa loi personnelle ; que toutefois, deux personnes de même sexe peuvent contracter mariage , lorsque, pour au moins l’une d’elle, soit sa loi personnelle, soit la loi de l’Etat sur le territoire duquel elle a son domicile ou sa résidence, le permet ;

Attendu qu’il ressort de ces dispositions que le conflit de loi éventuel a été anticipé par la nouvelle loi et que le mariage a ainsi été déclaré possible même pour les personnes dont la loi personnelle n’autorise pas le mariage de personnes de même sexe ; qu’il s’ensuit que ces nouveaux droits ont été rendus délibérément accessibles pour des personnes vivant sur le territoire français et qui n’avaient pas la possibilité juridique d’acquérir ces droits dans le cadre de leur loi personnelle ;

Attendu que ces dispositions, tirées de la loi du 17 mai 2013, ont été validées par le Conseil Constitutionnel et qu’il doit être considéré qu’elles s’intègrent à un nouvel ordre public international ;

Attendu qu’il est constant que la non application de la loi en question pour les ressortissants marocains en raison de l’existence de la convention bilatérale franco-marocaine de 1981 entraînerait une discrimination certaine au détriment de ces derniers ; que ces ressortissants étrangers vivent en France et doivent pouvoir bénéficier de l’accès à des droits légitimes conformes au nouvel ordre public international dans des conditions équivalentes à celles des ressortissants de pays qui n’ont pas conclu de conventions bilatérales et dont les législations ne reconnaissent pas non plus le mariage homosexuel ; qu’il convient ainsi, pour ces motifs, d’écarter l’application de la convention franco-marocaine au profit des principes supérieurs du nouvel ordre public international, instaurés par la loi du 17 mai 2013, et en conséquence de ne pas reconnaître en l’espèce une supériorité du traité sur la loi suivant le principe habituel de la hiérarchie des normes ; qu’il s’ensuit que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu’il a été donné mainlevée de l’acte d’opposition du 12 septembre 2013 au mariage des intimés et le ministère public sera débouté de ses demandes en cause d’appel ;

Attendu qu’il n’est pas inéquitable de laisser à la charge de Messieurs G. et O. la somme exposée au titre de leurs frais irrépétibles en cause d’appel ;

Par ces motifs :

Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,

Déclare l’appel recevable en la forme,

Au fond,

Rejette l’exception de nullité présentée par Messieurs G. et M.,

Confirme le jugement du tribunal de grande instance de Chambéry en date du 11 octobre 2013,

Déboute le ministère public de ses demandes,

Déboute Messieurs G. et O. de leur demande sur le fondement de l’article 700 du CPC.

Condamne le trésor public aux dépens de la procédure d’appel.

Selon un arrêt du 19 mars 2014, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui

Un enfant C est né le 2 juin 2010 à Mumbai (Inde), de Mme Y. et M. X. lequel, de nationalité française et résidant en France, l’a reconnu. Le 23 juillet 2010, ce dernier a demandé la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres français de l’état civil, demande à laquelle le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’est opposé.
Pour ordonner cette transcription, la cour d’appel a énoncé, d’une part, que la régularité de l’acte de naissance n’était pas contestée, ni le fait que M. X. et Mme Y. fussent les père et mère de l’enfant, de sorte que l’acte était conforme aux dispositions de l’article 47 du code civil, d’autre part, que la fraude à la loi invoquée par le ministère public pouvait ouvrir à celui-ci, le cas échéant, l’action en contestation prévue par l’article 336 du code civil, mais ne conduisait pas pour autant à juger que l’acte de naissance était, par lui-même, contraire à l’ordre public.
Dans un arrêt en date du 19 mars 2014, la Cour de cassation censure les juges du fond. Elle estime qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que les éléments réunis par le ministère public établissaient l’existence d’une convention de gestation pour le compte d’autrui entre M. X. et Mme Y., caractérisant ainsi un processus frauduleux dont la naissance de l’enfant était l’aboutissement, ce dont il résultait que l’acte de naissance de celui-ci ne pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français, la cour d’appel a violé les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ainsi que l’article 336 du même code.

Voici l’arrêt in extenso

Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :

Vu les articles 16-7 et 16-9 du code civil, ensemble l’article 336 du même code ;

Attendu qu’en l’état du droit positif, est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance est l’aboutissement, en fraude à la loi française, d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui, convention qui, fût-elle licite à l’étranger, est nulle d’une nullité d’ordre public selon les termes des deux premiers textes susvisés ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que l’enfant C est né le 2 juin 2010 à Mumbai (Inde), de Mme Y… et M. X… lequel, de nationalité française et résidant en France, l’a reconnu ; que le 23 juillet 2010, ce dernier a demandé la transcription de l’acte de naissance de l’enfant sur les registres français de l’état civil, demande à laquelle le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nantes s’est opposé ;

Attendu que, pour ordonner cette transcription, la cour d’appel a énoncé, d’une part, que la régularité de l’acte de naissance n’était pas contestée, ni le fait que M. X… et Mme Y… fussent les père et mère de l’enfant, de sorte que l’acte était conforme aux dispositions de l’article 47 du code civil, d’autre part, que la fraude à la loi invoquée par le ministère public pouvait ouvrir à celui-ci, le cas échéant, l’action en contestation prévue par l’article 336 du code civil, mais ne conduisait pas pour autant à juger que l’acte de naissance était, par lui-même, contraire à l’ordre public ;
Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait retenu que les éléments réunis par le ministère public établissaient l’existence d’une convention de gestation pour le compte d’autrui entre M. X… et Mme Y…, caractérisant ainsi un processus frauduleux dont la naissance de l’enfant était l’aboutissement, ce dont il résultait que l’acte de naissance de celui-ci ne pouvait être transcrit sur les registres de l’état civil français, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 15 janvier 2013, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris.

INTERVIEW SUR LE SITE D’INFORMATION ATLANTICO DU 9/4/2014

Un rapport intitulé « Filiation, origines, parentalité : un besoin de réformes » commandé par l’ancienne ministre déléguée à la Famille Dominique Bertinotti pour élaborer la loi sur la famille finalement enterrée au mois de février a été rendu public mardi 8 avril. Il préconise notamment la PMA pour les couples de femmes.

Publié le 9 avril 2014

Un rapport préconise la PMA pour les couples de femmes.

Un rapport préconise la PMA pour les couples de femmes.  Crédit Reuters

Atlantico : Au mois de février, le gouvernement enterrait le projet de loi famille dans lequel il était question de l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes et de la reconnaissance des enfants nés d’une gestion pour autrui à l’étranger. Mardi 8 avril, un rapport commandé au mois d’octobre 2013 par l’ancienne secrétaire de la famille a été rendu public (voir ici). Ces propositions sont-elles différentes de celles qui constituaient le projet de loi sur la famille ?

Caroline Yadan Pesah : Oui, c’est bien sûr une nouveauté pour les couples qui ont recours à la PMA et à la GPA, car la loi du 17 mai 2013 n’a, à aucun moment, ni interdit ni légalisé le recours à ces modes de procréation.
Si les époux du même sexe n’accèdent pas à l’adoption pour une raison ou pour une autre, ils ne sont, en l’état du droit actuel, pas admis non plus à recourir à une assistance médicale à la procréation ou à une gestation pour autrui.
Avec la loi du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux personnes du même sexe, le droit de l’adoption a été repensé et « l’homoparenté » a été consacrée. En effet, en permettant aux couples de personnes de même sexe de se marier, la loi leur ouvre donc nécessairement l’accès à l’adoption.
A cet égard, le législateur a souhaité une égalité de traitement de tous les époux traduite dans le nouvel article 6-1 du Code Civil :
« Le mariage et la filiation adoptive emportent les mêmes effets, droits et obligations (…) que les époux soient de sexe différent ou de même sexe ».
Cet accès à l’adoption, grâce à la loi, concerne tant les adoptions en couple, que les adoptions de l’enfant du conjoint.
C’est par le dépôt d’une requête en adoption (simple ou plénière) de l’enfant de son conjoint que de nouveaux liens filiaux vont pouvoir être tissés.
Cette procédure d’adoption est simplifiée par la loi. Il suffit, selon la loi, ou à tout le moins son « esprit », que les couples se marient pour pouvoir ensuite programmer l’adoption, éventuellement croisée, de leurs enfants.
Malgré la volonté du législateur de simplifier au maximum les adoptions des couples homosexuels, des difficultés subsistent car le texte est resté silencieux concernant le mode de procréation de l’enfant adopté, notamment lorsqu’on est en présence de l’enfant de son conjoint.
Si la demande d’adoption de l’enfant né d’une précédente union nécessairement hétérosexuelle de son conjoint, ne pose pas de difficulté particulière, il n’en va pas de même de la programmation d’une naissance ou de l’adoption de l’enfant adoptif de son conjoint.
En effet, il n’est pas rare que les couples programment une naissance dans le cadre d’un projet parental. Or, puisque tout enfant du conjoint peut être adopté, les époux sont bien évidemment tentés de se rendre à l’étranger pour devenir parents, malgré les interdits posés en France en matière bioéthique (don de sperme, gestation pour autrui).
En théorie, dans ce cas, l’autre conjoint devrait avoir tout le loisir d’autoriser l’adoption plénière puisque l’enfant n’aura de filiation établie qu’à l’égard de ce conjoint, dans la mesure où l’un des parents biologiques sera forcément occulté.
Pourtant tout n’est pas aussi simple.

Quels sont les problèmes juridiques que posent aujourd’hui la reconnaissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger ou d’une PMA dans un couple de femmes ?

Comme je l’ai précisé le recours à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui est, en France, illégal. Les textes du Code de la Santé Publique restent inchangés et exigent toujours une raison médicale et non de convenance personnelle.
Pour l’heure ainsi, les demandes émanant d’époux de même sexe, sont encore irrecevables, tout comme d’ailleurs, les demandes individuelles.
A cet égard, l’un des effets collatéraux de la réforme Mariage pour tous qui facilite l’adoption de l’enfant du conjoint conduit à inciter les demandeurs à contourner la loi française.
En effet, une fois enceinte, grâce à un don de sperme obtenu illicitement à l’étranger, la mère pourrait consentir à l’adoption de son enfant par son épouse. Cette adoption permettra au couple de mener à bien son projet parental en deux temps, même si la première étape contrevient à l’ordre public.
Il existe une hypocrisie certaine dans la loi du Mariage pour tous qui consiste à honnir toute assistance médicale à la procréation en dehors du cadre légal, tout en favorisant l’adoption de l’enfant ainsi né.
En voulant éviter la polémique, on a favorisé les difficultés. Celles-ci auxquelles sont aujourd’hui confrontés de nombreux couples homosexuels mariés et qui ont un projet d’adoption, viennent de là : en tant que couple marié ils sont en droit d’adopter, mais si l’enfant qu’il souhaite adopter a été conçu à l’étranger selon un mode de procréation reconnu illicite en France, leur demande risque sérieusement d’être refusée par les tribunaux. Ce qui peut constituer un véritable choc pour un couple qui n’a pas réalisé, en déposant une demande d’adoption, que les conditions de la conception de l’enfant seraient examinées.
La Cour de Cassation vient de réaffirmer dans un arrêt du 19 mars 2014 qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance et l’aboutissement en fraude à la loi française d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui. Ce faisant, elle n’a fait que confirmer sa position. (cf Cour de Cassation 1ère Chambre 13.09.2013)
La difficulté essentielle provient du fait que nombre de Procureurs de la République, partie prenante dans les demandes d’adoption, s’y opposent formellement faisant valoir que les requérants à l’adoption, en ayant eu recours à une procréation illégale, ont commis une fraude à la loi qui corrompt le lien juridique entre la mère et l’enfant, et que cette filiation frauduleusement établie fait obstacle au prononcé d’une adoption.
Pour autant, la position des procureurs n’est pas unanime et dépend aujourd’hui des tribunaux. En l’état, une demande d’adoption déposée à Paris a plus de chance d’aboutir qu’à Aix en Provence, par exemple …
Jusqu’à présent aucune décision de justice ne s’est toutefois encore opposée à une adoption, les procureurs n’émettant qu’un avis, qui peut ou non être suivi par les tribunaux. Ainsi, à Toulouse, l’avis du procureur n’a pas été suivi par les juges qui ont prononcé une adoption par un couple de même sexe, faisant valoir l’intérêt supérieur de l’enfant. D’où  la nécessité de clarifier le débat et d’uniformiser les positions, afin d’éviter la disparité éventuelle de décisions de justice se prononçant sur les adoptions sollicitées par des couples ayant eu recours à la GPA ou PMA. D’où également l’importance des préconisations de ce rapport que vous évoquez…

Si une cour de justice reconnaissait les enfants de PMA ou de GPA (comme le préconisait la circulaire Taubira dans le cas de la GPA) une telle décision ne pourrait-t-elle pas faire jurisprudence reconnaissant ainsi la PMA pour les couples de femmes ainsi que la GPA ?

Ce sont les règles de procédure civile qui s’appliquent. Si aucune clarification n’est entreprise, il y a de fortes chances pour que l’on se trouve en présence de décisions de première instance contradictoires, en fonction des régions.
Il faudra alors attendre les positions des Cours d’Appel et surtout de la Cour de Cassation qui tranchera, puis éventuellement de la Cour de justice de l’Union européenne. Cela peut prendre des années, les enfants en cours d’adoption auront donc le temps de grandir, sans que leur statut ne soit clarifié vis-à-vis de leurs parents.
Dans  l’esprit de la loi, le mariage ouvert aux couples homosexuels devait permettre l’adoption, de manière aussi simple et égalitaire, que pour les couples homosexuels. Il devait s’agir d’une simple formalité. Tel n’est pas encore le cas aujourd’hui…

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Le tribunal de grande instance de Versailles a refusé d’accéder à la demande d’adoption plénière de l’épouse de la mère biologique d’un enfant conçu à l’étranger par procréation médicalement assistée (PMA).

« On va le plus loin possible avec une tendance. Puis, avec ce que l’on a gagné au cours de cette évolution, on revient chercher celle que l’on a laissée en arrière » (H. Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion, chap. IV, 1932). Cette célèbre citation fait figure de dogme prophétique, à la lecture de la décision rendue par le tribunal de grande instance de Versailles, le 30 avril 2014.

En l’espèce, l’enfant avait été conçu par le biais d’un protocole de procréation médicalement assistée suivie en Belgique. Or le droit français n’ouvre la PMA qu’aux couples hétérosexuels mariés ou en couple (V. sur ce point, CSP, art. L. 2141-2), contrairement à la loi belge qui l’admet dans ces deux hypothèses pour les couples de femmes. Se posait devant le tribunal versaillais la question de savoir si le recours à l’étranger d’un tel procédé interdit en France pour concevoir l’enfant devait faire échec à la demande d’adoption plénière présentée par l’épouse de la mère biologique. La réponse est cinglante. Les juges ont considéré que « le procédé qui consiste à bénéficier à l’étranger d’une assistance médicale à la procréation interdite en France, puis à demander l’adoption de l’enfant, conçu conformément à la loi étrangère mais en violation de la loi française, constitue une fraude à celle-ci ».

Un recours hâtif à la théorie de la fraude

La fraude vient en renfort du raisonnement tenu par les juges. La motivation s’inspire d’ailleurs, presque mot pour mot, de celle des arrêts qui interdisent la transcription sur les registres d’état civil de l’enfant issu de la gestation pour autrui (V. not., civ. 1re, 19 mars 2014, n° 13-50.005, D. 2014. 905 , note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon  ; ibid. 901, avis J.-P. Jean  ; AJ fam. 2014. 244, obs. F. Chénedé  ; ibid. 211, obs. A. Dionisi-Peyrusse ). Pourtant, le recours à cette notion, en l’espèce, apparaît hâtivement soulevé au regard de ses effets potentiellement ravageurs. À juste titre, et comme l’ont déjà souligné certains éminents commentateurs, s’il y a fraude, elle se loge moins dans l’adoption que dans le procédé lié à la conception. Or « la cohérence voudrait que le ministère public puisse agir en contestation de maternité, afin de défaire le lien de filiation unissant l’enfant à sa mère biologique. La pente de la solution conduit donc très directement, à faire un orphelin potentiel de l’enfant issue d’une insémination artificielle à l’étranger » (S. Bollée, A.-M. Leroyer et E. Pataut, L’État dans les chambres à coucher, Huffington Post, 7 mars 2014). De plus, pour ce faire, il faudrait au passage prouver l’insémination artificielle, ce qui pourrait porter une atteinte grave à l’intimité de la vie privée.

Un choix téléologique contestable

En toute hypothèse, le recours à la fraude aurait été justifié si les intéressées avaient contourné un interdit expressément formulé par la loi. Pourtant, rien n’est moins certain au vu du contexte dans lequel la loi a été promulguée. En effet, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 consacrant le mariage pour tous, l’adoption par l’un des époux de l’enfant de son conjoint est ouverte dans les mêmes conditions à tous les couples. Au cœur des débats parlementaires, la question de la PMA s’est posée avec une acuité évidente pour les couples de femmes. Or, si la loi n’a pas formellement autorisé le mécanisme à leur égard, elle ne l’a pas non plus expressément condamné, comme le prouve le rejet de l’amendement visant à interdire l’adoption de l’enfant du conjoint conçu selon ce procédé. C’est d’ailleurs ce qu’avait exprimé, en février 2014, Erwann Binet, ex-rapporteur du projet de loi : « en aucun cas, il a été dans l’intention du législateur de refuser l’adoption des enfants conçus par PMA ». Dès lors, en se réclamant de l’esprit de la loi, comme c’est l’usage en cas d’interprétation, la demande d’adoption plénière qui en découle aurait pu être autorisée. Certaines juridictions ont d’ailleurs validé l’adoption sur ce fondement (V., not., TGI Lille, 17 oct. 2013, Dr. fam. 2014. Comm. 4, obs. C. Neirinck). En l’espèce, sous couvert d’un raisonnement téléologique, les juges ont choisi la voie inverse car il s’agit bien d’un choix en préférant limiter les effets de la PMA, ce qui offre, par là même, le spectacle d’une cacophonie judiciaire rarement égalée.

Une harmonisation souhaitable 

Comment comprendre que dans des situations parfaitement comparables, et sur le même territoire, un enfant soit privé d’un parent légal à Versailles, quand la justice admet l’inverse à Lille ou ailleurs ? Si un appel a d’ores et déjà été annoncé par les parents lésés, il devient urgent que la question soit réglée au plus haut niveau, ne serait-ce que pour la sécurité juridique à laquelle tout justiciable est en droit de s’attendre. Ce constat, Xavier Gadat, secrétaire national du syndicat de la magistrature, l’a vivement déploré : « La décision de la cour d’appel de Versailles est rendue possible par le vide de la législation, qui rend possible cette interprétation []. On va interpeler les parlementaires car ce n’est pas acceptable » (in J.- A. Richard, Refus d’adoption après une PMA, RTL.fr, 5 mai 2014). La situation est d’autant moins tolérable qu’en réponse, les pouvoirs publics ont contourné soigneusement le problème en insérant dans le débat parlementaire une proposition de loi visant à améliorer le statut du beau-parent, le tout sans évoquer frontalement la question de la PMA, qui devrait être abordée « plus tard », ainsi que l’a indiqué la députée PS Marie-Anne Chapdelaine, rapporteur du texte.

 

par Thomas Coustet

Sans recours déposé d’ici au 26 septembre, l’arrêt de la CEDH qui oblige la France à reconnaître la filiation d’enfants nés à l’étranger de GPA deviendra effectif. En ne faisant rien, quel message le gouvernement envoie-t-il quant à sa position sur la GPA ? En quoi cela peut-il revenir à dire qu’il ne s’oppose pas à cette pratique ?

Qui ne dit mot consent.

L’absence de recours de l’Etat Français implique une acceptation de l’arrêt de la CEDH du 26 juin 2014.

L’arrêt deviendra alors définitif, et il appartiendra alors à la France d’identifier les mesures à prendre pour se conformer à cet arrêt.

La CEDH a, dans cet arrêt condamné la France pour avoir refusé de reconnaître la filiation des enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger, en l’espèce aux Etats-Unis.

Cette acceptation de l’Etat français est lourde de sens.

Elle permet de clarifier la situation actuelle pour de nombreux couples et surtout pour leurs enfants, donnant à ces derniers une existence juridique non contestable.

Ainsi, si l’arrêt de la Cour Européenne devient définitif, les enfants nés par GPA, par le biais d’une convention juridique à l’étranger pourront désormais voir reconnaître leur filiation, par leur transcription sur les actes de l’Etat civil en France, ce qui est nouveau puisque contraire à la position de la Cour de Cassation.

Cette décision va également avoir des conséquences sur les adoptions par des couples d’enfants conçus à l’étranger par GPA ou PMA.

Comme vous le savez, le recours à la procréation médicalement assistée et à la gestation pour autrui est aujourd’hui, en France, illégal.

La Cour Européenne estime que la France est en droit de refuser ces pratiques sur son territoire, mais ne peut refuser de reconnaître les enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger.

A cet égard, l’un des effets collatéraux de la réforme Mariage pour tous qui facilite l’adoption de l’enfant du conjoint a conduit à inciter les demandeurs à contourner la loi française. En effet, une fois enceinte, grâce à un don de sperme obtenu illicitement à l’étranger, la mère peut consentir à l’adoption de son enfant par son épouse. Il en est de même en cas de Gestation pour autrui auquel peut songer un couple masculin.

Cette adoption permet au couple homosexuel de mener à bien son projet parental en deux temps, même si la première étape contrevient à l’ordre public.

Il existe actuellement une hypocrisie certaine dans la loi du Mariage pour tous qui consiste à honnir toute assistance médicale à la procréation en dehors du cadre légal, tout en favorisant l’adoption de l’enfant ainsi né.

En voulant éviter la polémique, on a favorisé les difficultés. Celles-ci auxquelles sont aujourd’hui confrontés de nombreux couples homosexuels mariés et qui ont un projet d’adoption, viennent de là : en tant que couple marié ils sont en droit d’adopter, mais si l’enfant qu’il souhaite adopter a été conçu à l’étranger selon un mode de procréation reconnu illicite en France, leur demande risque sérieusement d’être refusée par les tribunaux. Ce qui peut constituer un véritable choc pour un couple qui n’a pas réalisé, en déposant une demande d’adoption, que les conditions de la conception de l’enfant seraient examinées.

Les tribunaux français ne sont pas clairs sur cette question et leurs décisions sont différentes selon les Régions, ce qui est inconcevable dans un État de Droit.

Au printemps 2014, une femme s’est vue refuser l’adoption de l’enfant de sa conjointe conçu via une PMA à l’étranger par le Tribunal de Grande Instance de Versailles, tandis que le Tribunal de Grande Instance de Paris permettait une telle adoption à la même période.

D’où  la nécessité de clarifier le débat et d’uniformiser les positions, afin d’éviter la disparité éventuelle de décisions de justice se prononçant sur les adoptions sollicitées par des couples ayant eu recours à la GPA ou PMA.

D’où l’intérêt de cet Arrêt de la CEDH et de l’absence de recours de la France qui avait, au demeurant, proposé  dans son projet de loi famille l’ouverture de la procréation médicalement assistée pour les couples de femmes et de la reconnaissance des enfants nés d’une gestion pour autrui à l’étranger, projet enterré en février 2014…

Le message me semble clair.

Sur quels arguments se base cet arrêt ? 

La CEHD  n’a en aucun cas validé ou légalisé la pratique de la GPA mais elle a tranché une situation que les plaignants (deux couples hétérosexuels de français) jugeaient discriminatoire, comme portant  atteinte à la  vie privée ainsi et droit de fonder une famille (article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme)

La Cour ne part pas de la pratique des parents, mais des enfants, qu’elle pose comme premiers sujets de droit. 

Elle rappelle sans surprise la primauté de l’intérêt supérieur de l’enfant sur l’intérêt général : la France a le droit, du fait de la marge de manuvre laissée aux États, d’interdire la GPA sur son territoire, mais elle ne peut pas porter atteinte à « l’identité » des enfants nés de mères porteuses à l’étranger en refusant de les reconnaître.

« le  refus des autorités françaises de reconnaître les filiations d’enfants nés par GPA à l’étranger « procède de la volonté de décourager ses ressortissants de recourir hors de France à une méthode de procréation qu’elle prohibe sur son territoire » nous dit la Cour.

Les juges constatent que le refus des autorités françaises n’a pas empêché les deux couples concernés de mener une vie familiale « dans des conditions globalement comparables » à celles d’autres familles en France. Mais selon les magistrats européens, les enfants des deux couples se trouvent « dans une situation d’incertitude juridique », qui « porte atteinte à leur identité au sein de la société française » et les empêchera le jour venu d’hériter dans des conditions aussi favorables que d’autres enfants.

En quoi l’arrêt pourrait-il remettre en cause la loi française sur la question ?

La Cour de Cassation avait réaffirmé dans de nombreux arrêts (6 avril 2011, 13 septembre 2013, 19 mars 2014) qu’est justifié le refus de transcription d’un acte de naissance fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays lorsque la naissance et l’aboutissement en fraude à la loi française d’un processus d’ensemble comportant une convention de gestation pour le compte d’autrui.

Ces décisions étaient rendues au visa des articles 16-7 et 16-9 du code civil  qui interdisent la marchandisation du corps, si bien que la Cour maintenant ses positions strictes , refusait, jusqu’à présent, d’autoriser la reconnaissance juridique en France des conventions de mères porteuses légalement pratiquées à l’étranger.

Ce 1er arrêt européen est donc essentiel, dans la mesure où il va obliger la Cour Suprême à revoir sa position sur ce sujet.

Quelle jurisprudence peut-on attendre de l’arrêt de la CEDH ? Pourrait-il être utilisé par des couples ayant recours à une GPA illégalement sur le territoire français mais invoquant le droit de l’enfant à avoir une filiation ?

La Cour ne remet pas en cause l’illégalité de la GPA sur le territoire français.

A la suite de vifs débats, la loi du 17 mai 2013 (n°2013-404) autorisait le mariage des couples de même sexe. En tant que couples mariés, ils obtenaient ainsi également le droit à l’adoption. Mais qu’en est-il alors des couples de même sexe non marié ?

Pas de différence entre un couple hétéro et un couple de même sexe non mariés

La différence de traitement entre un couple marié et un couple non marié n’est pas juridiquement aberrant.

Le mariage ouvre des droits particuliers, ce qui signifie qu’on ne puisse pas comparer un couple marié à un couple non marié ainsi que le reconnaissait notamment la Cour européenne des droits de l’Homme dans son arrêt Gas et Dubois c. France du 15 mars 2012 (n°25951/07).

Ainsi donc, selon cette jurisprudence, il conviendrait d’analyser les droits d’un couple hétérosexuel non marié en matière d’adoption pour répondre à la question posée.

Or, en France, l’adoption plénière d’un enfant est ouverte aux couples mariés ou… aux célibataires !

Si un couple non marié souhaite adopter, l’adoption se fera uniquement au nom de l’un des deux parents et il n’y aura aucun lien de filiation entre le conjoint et l’enfant adopté.

Cette règle s’applique indifféremment aux couples hétérosexuels et aux couples homosexuels.

La disparition progressive du critère de mariage dans l’établissement de la filiation

Malgré tout, on remarque que la question de la filiation se dissocie de plus en plus de la question du mariage.

Ainsi, avant même que la loi du 17 mai 2013 ne soit adoptée, dans un arrêt de sa première chambre civile du 7 juin 2012, la Cour reconnaissait que le mariage n’était pas une condition essentielle à l’adoption.

En l’espèce, deux couples homosexuels, respectivement franco-canadien et franco-anglais, avaient obtenu des jugements d’adoption les reconnaissant comme parents de leurs enfants respectifs, respectivement au Canada et au Royaume-Uni.

Si la Cour rejetait leur demande d’exequatur de ces jugements, c’est-à-dire de la transcription à l’état civil français de la filiation avec leurs enfants respectifs, elle soulignait toutefois que ce refus n’était en aucun cas motivé par le fait que lesdits couples n’étaient pas mariés car la condition de mariage dans une procédure d’adoption n’est pas un principe fondamental du droit français.

Ainsi donc, la Cour reconnaît que le mariage n’est pas une condition essentielle dans l’établissement de la filiation.

L’importance croissante de l’intérêt supérieur de l’enfant

Plus récemment encore, un arrêt très commenté (Mennesson c. France, 26 juin 2014, n°65192/11), la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France pour avoir refusé de transcrire à l’état civil des enfants issus de Gestion Pour Autrui (GPA).

En l’espèce, les couples étaient mariés et hétérosexuels mais la solution de la Cour reste symptomatique de l’évolution en cours.

En effet, la Cour n’a pas retenu la violation du droit à la vie privée et familiale des parents, estimant que le but recherché était légitime et les moyens employés proportionnés à l’égard des parents.

Elle a néanmoins retenu la violation du droit à la vie privée et familiale des enfants, lesquels se voyaient nier une partie de leur identité et de leurs droits (du point de vue de l’héritage notamment).

Ici, la Cour privilégie donc avant tout l’équilibre et l’intérêt de l’enfant qui prévaut, quand bien même les parents auraient employé des méthodes manifestement illégales.

De la même façon, dans X. et autres c. Autriche du 19 février 2013 (requête n° 19010/07), la Cour reprochait à l’Autriche de n’avoir pas pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant en refusant à la compagne de sa mère la coparentalité. En l’espèce, la coparentalité permettait de stabiliser la situation de cet enfant qui vivait « comme une famille » avec les deux femmes.

A la suite des rappels à l’ordre de la Cour européenne des droits de l’homme, la Cour de Cassation finissait par se conformer à ces décisions et rendait le 23 septembre 2013 deux avis favorables à la transcription à l’état civil de la filiation d’un enfant obtenu par un couple de femmes homosexuelles par le biais d’une PMA pourtant illégale.

La Cour soulignait ainsi l’intérêt supérieur de l’enfant, auquel une incertitude juridique aurait porté atteinte.

Gageons donc que la situation tendra de plus en plus vers la possibilité pour les couples d’adopter, indifféremment de leur orientation sexuelle et de leur statut marital, tant que l’intérêt supérieur de l’enfant le commandera.

Caroline Yadan Pesah

La France a été de nouveau condamnée le 19 janvier 2017 pour avoir refusé de transcrire les actes de naissance d’enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger.

Une nouvelle fois, la CEDH a jugé que le refus de transcription, sur les registres de l’état civil français, des actes de naissance d’enfants nés de GPA en Ukraine, emporte violation de leur droit au respect de leur vie privée.

Par quatre décisions la CEDH, tout en reconnaissant aux États la possibilité d’interdire la GPA en droit interne, a déjà condamné la France pour violation de l’article 8 de la Convention européenne, au motif de l’atteinte portée au respect de la vie privée des enfants concernés – et non à leur vie familiale -, par la quasi impossibilité pour eux de faire établir ou reconnaître leur filiation, notamment vis-à-vis de leur père biologique (CEDH, 26 juin 2014, aff. 65192/11, Menesson c/ France ; CEDH, 26 juin 2014, aff. 65941/11, Labassee c/ France, RLDC 2014/118, nº 5543, note Brunetti-Pons Cl., JCP G 2014, 877, obs. Gouttenoire A., Dr. famille 2014, comm. 128, note Neirinck Cl., RLDC 2014/118, nº 5560, note Puppinck G. et La Hougue (de) C., Gaz. Pal. 2014, nº 205, p. 12, note Viganotti E., RJPF 2014-11/4, obs. Le Boursicot M.-Chr. et CEDH, 21 juill. 2016, aff. 9063/14 et 10410/14, Foulon c/ France ; CEDH, 21 juill. 2016, aff. 10410/14, Bouvet c/ France, RJPF 2016-11/24, obs. Mauclair St.).

En l’espèce, la situation des requérants étant similaire à celle des affaires précitées, la Cour de Strasbourg a logiquement suivi la même solution.

Ainsi,  comme dans les arrêts Foulon et Bouvet, la Cour relève d’abord les indications du Gouvernement français relatives au revirement de jurisprudence opéré par la Cour de cassation réunie en Assemblée plénière le 3 juillet 2015 (Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, n° 14-21.323, et Cass. ass. plén., 3 juill. 2015, n° n° 15-50.002, RLDC 2015/129, n° 5944, note Le Boursicot M.-Chr., RJPF 2015-9/20, Corpart I.), à la suite des arrêts Mennesson et Labassee.

Elle observe ensuite que le Gouvernement entend déduire de ce nouvel état du droit positif français que les requérants ont désormais la possibilité d’établir leur lien de filiation par la voie de la reconnaissance de paternité ou de la possession d’état, ou par la voie de l’action en établissement de filiation prévue par l’article 327 du Code civil.

Elle constate toutefois qu’à supposer cette circonstance avérée et pertinente – ce que contestaient les requérants -, le droit français a en tout état de cause fait obstacle durant presque quatre ans et huit mois à la reconnaissance juridique de ce lien de filiation (les enfants sont nés le 22 novembre 2010).

Aussi et comme précédemment, la Cour conclut en conséquence qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale, mais qu’il y a eu violation de cette disposition s’agissant du droit des enfants au respect de leur vie privée.

En principe, si un enfant naît d’une union incestueuse, il ne pourra avoir qu’un seul parent. Cependant, l’interdiction de l’établissement de ce double lien de filiation en cas d’inceste absolu possède un régime approximatif, et des conséquences susceptibles de susciter des difficultés concrètes. L’arrêt de la cour d’appel de Caen en date du 8 juin 2017 en est une illustration.

En l’espèce, un frère et une sœur ont été placés depuis l’enfance dans des familles d’accueils, et ont été ainsi élevés séparément pendant plusieurs années. Ils ont par la suite entretenu une liaison, et un enfant naît en 2009 de ce rapport incestueux. Le père reconnaît l’enfant avant sa naissance, tandis que la filiation maternelle est établie lors de l’accouchement. Le procureur de la République de Cherbourg découvre que l’enfant est le fruit d’un inceste.

Par jugement du 10 mars 2016, le Juge aux affaires familiales du TGI de Cherbourg a annulé le lien de filiation entre la mère et l’enfant, et ordonne que soit rédigé un nouvel acte de naissance pour l’enfant, indiquant uniquement le lien de filiation paternelle. Un appel est alors interjeté par la mère et l’administrateur ad hoc de l’enfant.

Par un arrêt du 8 juin 2017, la cour d’appel de Caen infirme le jugement au nom de l’intérêt de l’enfant. Elle juge que les deux liens de filiation ont été établis simultanément. Le père n’ayant pas été assigné lors de la procédure, il est donc impossible de se prononcer sur le lien de filiation paternelle dans la présente procédure. Concernant le lien de filiation maternelle, la cour d’appel considère qu’ « au regard de l’intérêt particulier de l’enfant, et des conséquences dommageables dans la construction de son identité, l’annulation d’un lien de filiation sur lequel s’est construite jusqu’à présent sa place dans l’histoire familiale, il y a lieu de réformer le jugement, étant observé que les liens de filiation produisant leurs effets simultanément, l’autorité parentale est conséquence exercée en commun ».

Selon la Cour d’appel, il est impossible d’admettre qu’une femme déclarée mère d’un enfant à la naissance et ayant élevé son enfant puisse subir l’annulation du lien de filiation qui l’unit à cet enfant, et que l’enfant soit privé de mère. Il est probable que si la Cour européenne des droits de l’homme avait été saisie de l’affaire, l’annulation du lien de filiation maternelle serait jugée non conforme à l’intérêt de l’enfant.

Cour d’appel de Caen 8 juin 2017

Civ 1 11 octobre 2017 16-23.865

Un acte de naissance établi aux Comores ne peut pas produire effet en France s’il n’est pas légalisé par le consul de France aux Comores ou par le consul des Comores en France.

En l’espèce, une personne née aux Comores fait une demande de reconnaissance de la nationalité française par filiation paternelle. A cette fin, une copie d’un acte de naissance établi aux Comores est produite.

La question de la légalisation de cet acte mérite alors d’être posée.

Par principe, « la légalisation est l’attestation écrite par un agent public compétent de la véracité de la signature apposée sur un acte et, s’il agit d’un acte public, de la qualité de celui qui l’a établi ». Selon la Cour de cassation, « la formalité de la légalisation des actes de l’état civil établis par une autorité étrangère et destinés à être produits en France demeure, selon la coutume internationale et sauf convention contraire, obligatoire ».

Selon l’Instruction générale relative à l’état civil énonce que peuvent être acceptés en France, tant par les administrations publiques que par les particuliers, les copies ou extraits soit légalisés, à l’étranger, par un consul de France, soit légalisés en France, par le consul du pays où ils ont été établis, soit établis en France, par un consul étranger sur la base d’actes de l’état civil conservés par lui.

Rappelons que cette exigence de légalisation perdure évidemment sous réserve de l’existence d’une convention internationale qui viendrait l’exclure, en particulier de la Convention de la Haye supprimant l’exigence de la légalisation des actes publics étrangers. Néanmoins, dans les relations entre les Comores et la France, aucune convention ne s’impose en ce domaine.

Dans ce cadre, l’espèce jugée par la première chambre civile le 11 octobre 2017 permet de redonner vigueur à certains principes déjà établis. La Cour de cassation juge que la copie de l’acte de naissance ayant été légalisée par le chef de la chancellerie du ministère des affaires étrangères des Comores et non par le consul de France aux Comores ou par le consul des Comores en France, l’acte ne pouvait pas produire effet en France.

Civ 1 19 octobre 2017

En principe, les registres de naissance de l’état civil constituent à l’expiration d’un délai de 75 ans à compter de leur clôture, des archives publiques communicables de plein droit à toute personne qui en fait la demande.

En l’espèce, suite à la publication d’un ouvrage faisant état du caractère adoptif de sa filiation, un homme intente une action en justice contre l’auteur et l’éditeur afin que soit réparée l’atteinte portée à sa vie privée. De plus, il souhaite obtenir la suppression de toute mention de son nom dans les éditions ultérieures.

La cour d’appel juge que la divulgation de la filiation adoptive d’un homme porte atteinte à sa privée, et condamne l’auteur et l’éditeur au paiement de dommages et intérêts. En effet, selon la cour d’appel, « la filiation adoptive appartient à son histoire personnelle et à l’intimité de sa famille ».

L’auteur et l’éditeur forment alors un pourvoi en cassation, en soutenant que l’état civil d’une personne ne fait plus partie de la sphère de la vie privée (protégée par l’article 9 du Code civil) lorsqu’il devient accessible au public.

La cour de cassation y répond négativement, et considère que « si les registres de naissance de l’état civil constituent, à l’expiration d’un délai de 75 ans à compter de leur clôture, des archives publiques communicables de plein droit à toute personne qui en fait la demande, certaines de ses informations qu’ils contiennent et notamment celles portant sur les modalités d’établissement de la filiation relèvent de la sphère de la vie privée.

Par cette solution, nous pouvons assister à un renforcement de la protection édictée par l’article 9 du Code civil, et y intègre les modalités d’établissement de la filiation.