L’acquéreur d’un terrain constructible qui a dû procéder à son remblaiement avant de pouvoir construire peut réclamer des dommages-intérêts au vendeur qui connaissait ce vice.

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L’acquéreur d’un terrain constructible qui a dû procéder à son remblaiement avant de pouvoir construire peut réclamer des dommages-intérêts au vendeur qui connaissait ce vice.

Le vendeur qui ignorait l’existence du vice au moment de la vente n’est tenu de rembourser à l’acquéreur que les frais occasionnés par la vente (C. civ. art. 1646) ; s’il en connaissait l’existence, il doit indemniser l’acquéreur de tous les préjudices subis (C. civ. art. 1645).

Le vendeur d’un terrain constructible situé dans une zone artisanale et industrielle a été condamné à verser des dommages-intérêts (120 000 € environ) à l’acquéreur qui avait dû remblayer le terrain avant de pouvoir y construire.

En effet, il résultait des éléments suivants que ce défaut du terrain était connu du vendeur mais caché pour l’acquéreur : l’acquéreur ayant eu connaissance de la qualité médiocre du terrain, le vendeur s’était engagé à céder un terrain constructible, entièrement remblayé et compacté ; les entreprises chargées de ces travaux avaient émis des réserves sur la sensibilité du terrain à l’eau et sur les conditions météorologiques défavorables au compactage ; le vendeur avait réceptionné les travaux sans réserve et n’avait fourni aucun justificatif des vérifications et précautions prises pour assurer la qualité du terrain vendu comme constructible dans une zone destinée à recevoir des bâtiments à usage industriel ou artisanal ; après la vente, l’acquéreur avait dû faire procéder à des études et au remplacement du remblai initial par un remblai conforme à cette destination.


Références

Cour de cassation
chambre civile 3
Audience publique du mardi 16 mars 2010
N° de pourvoi: 09-10693
Non publié au bulletin Rejet

M. Lacabarats (président), président
Me Blondel, SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Tiffreau et Corlay, avocat(s)


Jurisprudence de la Cour de Cassation – Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :Sur le moyen unique du pourvoi principal, ci-après annexé :Attendu qu’ayant souverainement retenu que l’acquéreur avait connaissance de la qualité médiocre du terrain et que des pourparlers avaient eu lieu aux termes desquels la communauté de communes d’Erdre et de Gesvres (la communauté de communes) s’était engagée à vendre un terrain constructible dans une zone artisanale et industrielle, entièrement remblayé et compacté, que les entreprises auxquelles les travaux avaient été confiés par la communauté de communes avaient émis des réserves tenant à la sensibilité du terrain à l’eau et aux conditions météorologiques défavorables au compactage, que la communauté de communes avait réceptionné les travaux sans réserve le 11 avril 2000 sans fournir postérieurement aucun justificatif des vérifications et précautions prises pour assurer la qualité du terrain vendu comme constructible dans une zone destinée à recevoir des bâtiments à usage industriel ou artisanal et qu’après acquisition la société Saric avait dû faire réaliser des études et réaliser l’enlèvement du remblai initial afin de le remplacer par un remblai conforme à sa destination, la cour d’appel, en retenant l’existence d’un vice connu du vendeur et caché à l’acheteur qui avait légitimement pu croire à l’efficacité des travaux promis par le vendeur et dont l’importance et la nature étaient telles que l’acquéreur en aurait donné un moindre prix s’il avait connu ce vice, a légalement justifié sa décision ;Sur le moyen unique du pourvoi incident, ci-après annexé :Attendu qu’ayant souverainement retenu que pour fonder la demande en paiement d’une facture de 21 515 74 euros émise contre la société Saric, la société AB21 invoquait la réalisation d’un bassin de réserve d’incendie ultérieurement demandé par les pompiers alors que la facture produite portait mention de remplacement de la faïence du local personnel, la pose serrures, le raccordement à la hotte du local personnel et la mise en place d’une gaine, sans production d’un devis ou d’une commande ni d’un document établissant la réception des travaux, la cour d’appel en a déduit que la société AB21 n’établissait pas que la société Saric était débitrice du montant de la facture litigieuse ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE les pourvois principal et incident ;

Condamne la communauté de communes d’Erdre et Gesvres et la société AB 21, ensemble, aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la communauté de communes d’Erdre et Gesvres à payer aux sociétés Saric et YS Ouest immobilier, ensemble, la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la société AB2I ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize mars deux mille dix.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyen produit AU POURVOI PRINCIPAL par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour la communauté de communes d’Erdre et Gesvres.

Il est reproché à l’arrêt infirmatif attaqué d’avoir condamné la Communauté de Communes d’ERDRE & GESVRES à verser à la SCI YS OUEST IMMOBILIER une somme de 123.450 € au titre de l’indemnisation du surcoût de construction, somme devant porter intérêt au taux légal à compter du 7 septembre 2004, les intérêts se capitalisant dans les termes prévus par l’article 1154 du Code civil ;

AUX MOTIFS CENTRAUX QU’après la réalisation des conditions suspensives, la vente est réputée parfaite au jour de l’acte sous seing privé du 6 avril 2000, date où doit être apprécié l’état du bien vendu dont le prix a été payé à la signature de l’acte authentique régularisant la vente, sans reprendre la clause d’exclusion de la garantie des vices cachés ; que cet acte mentionne au contraire au titre des « charges et conditions particulières s’imposant au vendeur », relatives au lot privatif, pour la « garantie des vices cachés », les déclarations des parties sur les études préalables à la construction conseillées par le vendeur et déjà mises en oeuvre par l’acquéreur, ainsi que les premières conclusions de l’expert Monsieur Y… retenant la connaissance par la Communauté de Communes d’ERDRE et GESVRES et par la société AB2.l de la mauvaise qualité des remblais, de nature à interdire la construction du dallage sur terre-plein du bâtiment industriel et d’en compliquer la construction, sans que soit établie cette connaissance par l’acquéreur ; que les appelantes font valoir à l’encontre de la C.C.E.G un manquement à ses obligations contractuelles, en n’exécutant pas parfaitement son engagement de livrer un terrain à bâtir à usage industriel, commercial, artisanal ou de bureau, entièrement remblayé et compacté ; qu’elles soutiennent que la Communauté de communes connaissait au surplus les vices du terrain constatés par les constructeurs et par l’expert, de nature à le rendre impropre à sa destination, pour la réalisation notamment des voiries et du bâtiment industriel projeté par l’acquéreur ;

AUX MOTIFS ENCORE QU’il est constant que l’acquéreur avait connaissance de la qualité médiocre du terrain, des pourparlers ont eu lieu sur ce point, au terme desquels la communauté de Communes s’est engagée à vendre un terrain constructible dans une zone artisanale et industrielle, entièrement remblayé et compacté, cette condition était déterminante de la vente convenue entre les parties ; qu’il est constant également que la Communauté de Communes a confié les travaux de terrassement à des entrepreneurs qualifiés, mais la société Sextant et le laboratoire Technilab lui ont signifié en février et mars 2000 des réserves importantes sur la qualité des remblais, et en particulier leur aptitude à recevoir des constructions notamment de bâtiments industriels, en raison de la sensibilité du terrain à l’eau et des conditions météorologiques défavorables au compactage ; que les travaux se sont poursuivis après l’avis du laboratoire technique ayant préconisé un délai d’attente climatique ou un drainage, nécessitant quelques mois pour assurer la bonne qualité hydrique du remblai et sa bonne tenue au compactage, tout en préconisant un soin particulier pour la réalisation de l’arase terrassement et de la première couche de remblai ; que la Communauté de Communes a cependant réceptionné les travaux sans réserve le 11 avril 2000 ; qu’elle ne fournit aucun justificatif des précautions qu’elle aurait prises et des vérifications effectuées pour assurer la qualité du terrain qu’elle a vendu comme constructible dans une zone destinée à recevoir des bâtiments notamment à usage industriel, nécessitant l’aménagement des abords, notamment par des travaux de voirie ; que le terrain a été acquis en définitive par la S.C.I. Y.S. Ouest Immobilier qui n’a pas pu y réaliser directement les travaux de construction qu’elle projetait ; qu’elle a dû faire intervenir la société Fondasol et le bureau Veritas, puis engager des investissements d’un coût très important, d’une part pour l’aménagement des voiries, nécessitant d’enlever le remblai défectueux afin de le remplacer par du remblai propre à cette destination, et d’autre part pour la construction du bâtiment à usage d’atelier, ayant été doté d’un plancher porté, lequel a été choisi de préférence au changement de remblai, sinon également indispensable ; que l’expert a pointé en particulier les investigations géotechniques de la société Fondasol établissant que la zone des ateliers était intégralement constituée de remblais sablo-argileux et de limons argileux compressibles et impropres à la réalisation d’un dallage industriel ; qu’est ainsi caractérisée l’existence d’un vice caché à l’acheteur croyant légitimement à l’efficacité des travaux promis par le vendeur ; que ce vice était d’une nature et d’une importance telle que l’acquéreur aurait donné un moindre prix s’il l’avait connu ; que ce vice était en outre connu de la C.C.E.G qui n’a pas tenu compte des préconisations du laboratoire technique ; que par application des articles 1641 et 1645 du code civil, la C.C.E.G est tenue à réparer le préjudice qui en est résulté pour la S.C.I. Y.S ; Ouest Immobilier, par un surcoût de substitution du remblai servant à la réalisation des voiries ainsi que pour les modifications constructives du bâtiment à usage d’atelier ; que l’expert a retenu un préjudice de 26.651 € HT pour le surcoût des travaux de terrassements en purges des sols et de remblai d’apport sous les 1.750 mètres carrés de chaussées, en ce compris les frais d’assurance et de suivi à 3% ; qu’il était prévu un dallage sur terre-plein qu’il a été décidé de remplacer par un plancher porté au mois de mai 2001, pour un surcoût réclamé de 105.701 € HT, selon un avenant du 15 mai 2001 accepté le 23 mai 2001 par la S.C.I. Y.S. Ouest Immobilier ; que toutefois il est apparu en cours d’expertise une amélioration des sols permettant d’envisager la mise en oeuvre d’un dallage sur terre-plein après purge totale des remblais impropres, et avec une sur épaisseur de dallage et de ferraillage, pour un coût moindre de 96.799 € HT ; que le surcoût issu de la mauvaise qualité des remblais est évalué par l’expert à 123.450 € HT, estimant à 8.902 € HT le surcoût relatif au choix du plancher porté ; que la S.C.I. Y.S. Ouest Immobilier limite sa réclamation à la somme de 123.450 € HT, qu’il convient de lui accorder en réparation de son entier préjudice résultant du surcoût de construction. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter de l’assignation en date du 7 septembre 2004, à titre d’indemnisation complémentaire. Il sera fait droit à la demande de capitalisation des intérêts dans les termes de l’article 1154 du code civil ;

ALORS QUE le vendeur, la Communauté de Communes, qui n’était pas un professionnel sollicitait la confirmation du jugement lequel relatait pour débouter l’acquéreur de ses demandes sur le fondement de la garantie des vices cachés, que la nature marécageuse du terrain était apparente et que la Communauté de Communes ne s’est jamais engagée à livrer un terrain « prêt à construire » mais simplement remblayé et compacté sur toute sa surface ; qu’un courrier électronique adressé par ARTHUR LOYD à la CCEG du 16 janvier 1999, établit le constat par l’acquéreur de la mauvaise qualité du terrain : « nous souhaiterions que vous puissiez faire une proposition au meilleur prix sachant que le terrain n’est pas de bonne qualité » ; qu’il ne peut être déduit du courrier de la CCEG du 20 mars 2000 dans lequel elle déclare qu’elle procédera au remblayage et au compactage du sol, son engagement de livrer un terrain immédiatement constructible quel que soit le bâtiment qui y sera édifié dans la mesure où le compromis de vente signé postérieurement à cette lettre du 6 avril 2000, prévoit expressément l’engagement de l’acquéreur de « commencer, sans délai, les études préalables en vue de l’élaboration de son projet définitif de construction, notamment les études de sol », ce qui traduit que l’acquéreur considérait bien être de son obligation de vérifier la nature du sol pour éventuellement prévoir les travaux nécessaires à l’édification de son projet de construction, étant observé que l’acte authentique de vente lui-même faisait état de la circonstance que le vendeur attirait l’attention de l’acquéreur sur l’intérêt d’une enquête terrain par son constructeur, préalablement au contrat de construction afin de déterminer les conditions techniques et financières de réalisation de sa construction, l’acquéreur ayant déclaré avoir dès avant ce jour, fait réaliser les études techniques nécessaires à son projet de construction (cf p. 11 et 12 du jugement dont la confirmation était sollicitée et cf p. 12 et 13 des conclusions de la Communauté de communes signifiées le 5 octobre 2007), le vendeur ajoutant dans ses conclusions d’appel que son engagement de livrer un terrain remblayé et compacté excluait nécessairement les exigences particulières liées à la construction d’un sol industriel destiné à recevoir des machines-outils ne tolérant aucun tassement du sol et qu’il est certain que si l’obligation de la venderesse avait consisté à livrer un terrain « prêt à construire » elle aurait préalablement été destinataire d’un cahier des charges, ce qui n’a pas été le cas ; qu’en ne tenant pas compte de ses données spécifiques pour infirmer le jugement entrepris et en affirmant sans davantage l’expliquer qu’il serait constant que des pourparlers ont eu lieu, aux termes desquels la CCEG s’était engagée à vendre un terrain constructible dans une zone artisanale et industrielle, entièrement remblayé et compacté, la Cour ne justifie pas légalement son arrêt au regard des articles 1641, 1642 et 1645 du Code civil ;

ET ALORS QUE D’AUTRE PART et en toute hypothèse la Cour ne justifie pas davantage son arrêt en affirmant que les pourparlers ont eu lieu aux termes desquels la Communauté de Communes se serait engagée à vendre un terrain constructible dans une zone artisanale et industrielle, entièrement remblayé et compacté, cependant que la Communauté de communes intimée insistait sur le fait qu’elle ne s’était nullement engagée à vendre un terrain « prêt à construire » de bâtiments industriels (cf p. 13 des conclusions signifiées le 5 octobre 2007) ; qu’en se contentant de se référer aux pourparlers sans préciser les éléments objectifs dûment vérifiables à partir desquels le vendeur se serait engagé à céder un terrain constructible dans une zone industrielle cependant qu’il était acquis que l’acheteur avait fait un argument pour baisser le prix de ce que le terrain difficile et marécageux devait faire l’objet d’études par les acquéreurs avant toute construction, la Cour ne justifie pas davantage son arrêt infirmatif au regard des articles 1134, 1641, 1642 et 1645 du Code civil, violés.Moyen produit AU POURVOI INCIDENT par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la société AB2I.

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR débouté la SARL AB2I de sa demande en paiement de la facture de 21.515,74 euros à l’encontre de la SARL SARIC ;

AUX MOTIFS QUE « la SARL AB2I prétend au paiement d’une facture d’un montant de 21.515,74 euros, émise au nom de la SARL SARIC le 27 septembre 2001, pour des travaux qui seraient indépendants du marché principal. Cette facture concerne un bassin de réserve d’incendie qui aurait été demandé ultérieurement par les pompiers en raison d’un nombre insuffisant de poteaux incendie mis à disposition sur le réseau de la CCEG. Cette facture mentionne cependant le remplacement de la faïence du local personnel par un grès cérame, la pose de 3 serrures complémentaires pour les placards, le raccordement de la hotte du local personnel et la mise en place d’une gaine ; il n’est fourni ni devis, ni commande, ni aucun document prouvant la réception des travaux litigieux, facturés à la SARL SARIC alors que certains concernent manifestement le bâtiment de la SCI Y.S. OUEST IMMOBILIER et alors que toutes transactions ont eu lieu précédemment entre la SARL AB2I et la SCI Y.S. OUEST IMMOBILIER propriétaire des lieux ; la SARL SARIC s’est opposée d’abord au paiement réclamé en arguant simplement du litige en cours. Elle argue, à titre reconventionnel, de travaux relatifs au dispositif incendie à l’intérieur du bâtiment, dont les dysfonctionnements justifieraient sa réclamation de dommages-intérêts. Ces travaux apparaissent autres que la réserve d’incendie ; à défaut de devis descriptif ou de commande des travaux litigieux, et sans autre information sur leur suivi et leur réception par le bénéficiaire, la SARL AB2I n’établit pas que la SARL SARIC soit débitrice du montant de la facture litigieuse ; il convient pour ces motifs de réformer le jugement déféré en déboutant la SARL AB2I de cette demande ; la SARL SARIC allègue des dysfonctionnements du réseau incendie du bâtiment et de son remplacement prévu mais non réalisé par un sous-traitant de la SARL AB2I, ce qui lui occasionnerait un préjudice important chiffré à 5.000 euros ; s’agissant de désordres affectant le bâtiment réalisé par la SCI Y.S. OUEST IMMOBILIER et sans identification suffisante du constructeur mis en cause ainsi que du préjudice dont il est réclamé l’indemnisation, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu’il a débouté la SARL SARIC de ce chef de demande » ;

ALORS QUE les faits admis par les deux parties doivent être tenus pour constants ; qu’en jugeant que la SARL AB2I n’établissait pas que la SARL SARIC ait été débitrice du montant de la facture litigieuse, quand cette dernière avait admis l’existence de cette créance, en ne s’opposant au paiement réclamé qu’en arguant simplement du litige en cours et non en contestant le principe même de cette créance, la Cour d’appel a méconnu les dispositions des articles 4 et 5 du Code de procédure civile.


Analyse

Décision attaquée : Cour d’appel de Rennes , du 6 novembre 2008