Deux arrêts de la Cour de cassation viennent préciser l’étendue de la solidarité de paiement des paiements du loyer dans une colocation, hors cas des époux.

Article publié initialement sur Legavox où, depuis sa parution, il a été lu 4489 fois.

En l’absence d’une clause de solidarité explicite dans le contrat de bail, le colocataire restant dans les lieux après le départ valide de l’autre colocataire n’est pas légalement solidaire des dettes éventuelles de son ancien colocataire, mais continue de payer la totalité dès lors qu’il reste seul à jouir du bien.

Lorsqu’un local est donné à bail à deux preneurs sans stipuler de solidarité entre eux, le bailleur doit diviser son action en paiement du loyer contre chacun des locataires pour leur part, la dette de loyer n’étant pas par elle-même indivisible (arrêt n° 1, pourvoi n° 12-21.034).

En revanche, lorsqu’un seul des preneurs donne congé, le bail se poursuit avec l’autre locataire et porte sur l’ensemble des locaux, avec obligation pour ce locataire, en contrepartie de la jouissance des lieux, de payer l’intégralité du loyer (arrêt n° 2, pourvoi n° 12-21.973)


Jurisprudence de la Cour de cassation

Cass. 3e civ. 30 octobre 2013 n° 12-21.034 (n° 1234 FS-PB), Mounier c/ SCI du 12 cours Xavier Arnozan

Cass. 3e civ. 30 octobre 2013 n° 12-21.973 (n° 1235 FS-PB), Berger c/ SCI Hydrangea

Sur le moyen unique :

Vu les articles 1202 et 1222 du code civil ;

Attendu que, selon le premier de ces textes, la solidarité ne se présume point et doit être expressément stipulée ; que, selon le second, chacun de ceux qui ont contracté conjointement une dette indivisible en est tenu pour le total, encore que l’obligation n’ait pas été contractée solidairement ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Bordeaux, 22 mars 2012), que la SCI du 12 cours Xavier Arnozan (la SCI) a donné à bail des locaux à usage professionnel à MM. X… et Y…, avocats, le contrat mentionnant le « Cabinet Yves X… et Pierre Y… » en qualité de locataire ; que M. Z…, ayant remplacé M. Y… avec l’accord de la SCI, a quitté les lieux courant 2005 sans donner congé ; que M. X… a donné congé et a restitué les lieux le 9 juillet 2007 ; que la SCI a assigné celui-ci en paiement d’un solde de loyers échus de 2005 à 2007 ;

Attendu que pour accueillir cette demande, l’arrêt retient qu’une dette de loyer est indivisible entre des colocataires, dans la mesure où elle est la contrepartie du droit de jouissance des biens donnés à bail, droit qui est lui-même indivisible, qu’il s’ensuit que la SCI est fondée à agir contre M. X… seul en paiement de la totalité des loyers impayés ;

Qu’en statuant ainsi alors que le bail ne stipulait pas la solidarité des preneurs et que la dette de loyer n’est pas par elle-même indivisible, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 22 mars 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux, autrement composée ;

Condamne la SCI du 12 cours Xavier Arnozan aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne la SCI du 12 cours Xavier Arnozan à payer à M. X… la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la SCI du 12 cours Xavier Arnozan ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente octobre deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour M. X…

Le moyen fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné Monsieur X… à payer à la SCI du 12 Cours Xavier Arnozan la somme de 7619 ¿, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 23 octobre 2007,

AUX MOTIFS QUE si le contrat de bail litigieux ne comporte aucune clause de solidarité passive, l’article 1222 du code civil énonce cependant que « chacun de ceux qui ont contracté conjointement une dette indivisible, en est tenu pour le total, encore que l’obligation n’ait pas été contractée solidairement » ; qu’une dette de loyer est indivisible entre des colocataires dans la mesure où elle est la contrepartie du droit de jouissance des biens donnés à bail, droit qui est lui-même indivisible ; qu’il s’ensuit que la SCI du 12 Cours Xavier Arnozan est fondée à agir contre Monsieur Yves X… seul en paiement de la totalité des loyers impayés ;

ALORS QUE la solidarité ne se présume pas ; qu’elle ne peut résulter de la formation d’un bail professionnel par deux co preneurs, acquittant chacun au bailleur sa part des loyers et de charge ; qu’à défaut d’engagement solidaire par les deux copreneurs d’un local professionnel, divisant auprès du bailleur la dette de loyer et des charges, l’un des preneurs ne peut être tenu de payer un solde de loyers et de charges resté impayé par l’autre ; qu’en retenant le caractère indivisible du droit de jouissance des lieux loués, pour en déduire la solidarité des preneurs quant au paiement de la dette de loyers et en conséquence, condamner Monsieur X… au paiement du solde de loyers et de charges laissé impayé par le copreneur, la cour d’appel a violé, par refus d’application, l’article 1202 du code civil et par fausse application l’article 1222 du même code ;

 


ECLI:FR:CCASS:2013:C301234

Analyse

Décision attaquée : Cour d’appel de Bordeaux , du 22 mars 2012

  • Précédents jurisprudentiels : Sur l’absence de solidarité conventionnelle et la divisibilité de la dette, à rapprocher :3e Civ., 19 février 1991, pourvoi n° 88-19. 136, Bull. 1991, I, n° 71 (rejet)Sur la divisibilité d’une dette de somme d’argent, à rapprocher :3e Civ., 12 mai 1975, pourvoi n° 74-11. 154, Bull. 1975, III, n° 165 (cassation partielle). Sur les effets du congé donné par un seul copreneur en l’absence de clause de solidarité, à rapprocher :3e Civ., 21 novembre 1990, pourvoi n° 89-14. 827, Bull. 1990 , III, n° 237 (cassation partielle)Textes appliqués :
    • articles 1202 et 1222 du code civil ; articles 1134, 1719 et 1728 du code civil ; article 455 du code de procédure civile